Surveillance d’Internet : vers un Patriot Act à la française

Voté le 3 décembre 2013 par les députés, le projet de loi de programmation militaire a été transmis au Sénat le 4 décembre. Ce même jour, la Commission de la Défense, saisie au fond, a rendu sur le champ son rapport et suggéré de le voter conforme. Un examen au pas de course qui marque l’empressement gouvernemental sur ces dispositions qui soulèvent pourtant un grand nombre d’inquiétudes.
patriot act LPMP surveillance internet

L’article 13 du projet de loi de programmation militaire est celui qui attire les plus grandes inquiétudes. Il ouvre en effet les vannes du droit de communication à une ribambelle d’administrations sur tous les « documents » et « informations » transmises ou stockées dans les câbles des opérateurs (télécom, FAI, mais également opérateurs des opérateurs) ou les nuages des hébergeurs.

Sous couvert d’unifier plusieurs régimes, dont certains vont en réalité rester actifs, le texte va avant tout étendre considérablement les capacités de la Défense, de la Sécurité Intérieure, de l’Intérieur et de Bercy qui pourront butiner des flux et les stocks de données à grandes lampées.

De la grande muette à la grande bouche

Pour ouvrir la bouche de ce Patriot Act à la française, il suffira de justifier de la recherche de renseignements intéressant par exemple la sécurité nationale, la prévention du terrorisme, la criminalité, la délinquance organisées ou surtout « la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France ». Une expression à la surface très vaste et aux contours tout aussi flous.

Qu’est ce qui pourra être légalement ingurgité ? C’est là encore le grand brouillard. Pourront plonger dans le tube digestif de ces administrations, tous les « documents » et « informations » échangés ou stockés chez les FAI et les hébergeurs. On dépasse allègrement le sec stade des métadonnées, ces données techniques qui entourent les échanges (comment, avec quoi, avec qui, etc.). On peut ainsi imaginer n’importe quel scénario, par exemple le renseignement traquant et aspirant l’intégralité des échanges d’un futur Snowden français, considéré comme menaçant pour le potentiel économique de la France ou la sécurité nationale.

Comme nous l’exposions en détail dans cette longue actualité, en amont de ce tube digestif, la mâchoire des autorités administratives sera taillée sur mesure : les « documents » et « informations » pourront en effet être avalés sur « sollicitation du réseau », expression là encore confuse que ni le gouvernement, ni les parlementaires n’ont voulu définir. Malgré les questions de Lionel Tardy et Laure de la Raudière, seuls à avoir demandé des comptes. Autre chose, cette aspiration se fera sur « recueil » : une expression non choisie au hasard qui, dans le secteur du renseignement, signifie « collecte » et non pas « demande » ponctuelle. Et pour mieux répondre à l’appétit de ces administrations, le tout se fera au besoin « en temps réel ».

Pas de purge

Autre contrariété, en aval du tube digestif, le gouvernement a oublié de prévoir la purge des éléments ne répondant pas à la finalité initiale (recherche de renseignement touchant à la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées, etc.). En somme, une fois la bouche ouverte sous ces justifications, tout tombera dans un sombre estomac.

Certes, il est prévu que ces administrations ne pourront ouvrir leur gueule « que » durant 30 jours, mais l’autorisation initiale délivrée par le premier ministre pourra être renouvelée. Indéfiniment.

Pour vérifier tout cela, c’est la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) qui jouera le rôle de gastroentérologue. A posteriori. Son examen sera tardif (jusqu’à 9 jours pour la demande initiale, 15 jours pour le dispositif de recueil) et couvert par le secret. Son cabinet médical peut pousser les murs de sa salle d'attente. Cet escadron de cinq membres, dont deux parlementaires, doit en effet déjà absorber 231 000 demandes annuelles

Face à ces lourdes inquiétudes, on ne peut que constater le silence parlementaire et une absence totale de débats.

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